Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/311

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suivi, depuis Wallenstein, ses ouvrages pas à pas, le plus souvent dans un parfait accord avec lui, mais quelquefois attaquant avec vivacité certaines choses, quand on en venait à l’exécution, jusqu’à ce qu’enfin l’un ou l’autre trouvât bon de céder. C’est ainsi que son génie, qui aimait à s’élever et à se déployer, avait conçu Démétrius dans de trop vastes proportions. J’avais pu le voir méditer d’abord l’exposition en forme de prologue, comme dans Wallenstein et la Pucclle d’Orléans, puis se resserrer peu à peu, grouper les idées principales et commencer çà et là le travail. Je l’avais aidé de mes conseils et de ma collaboration ; le drame était aussi vivant pour moi que pour lui.

Maintenant je désirais passionnément de continuer notre conversation interrompue par la mort, de conserver jusque dans les détails ses pensées et ses vues, et de montrer pour la dernière fois, et dans son point culminant, notre longue habitude de travailler ensemble à la rédaction de nos drames et de ceux d’autrui. Je croyais le posséder encore, quand je continuais son existence. J’espérais rallier nos amis communs. Le théâtre allemand, pour lequel nous avions travaillé jusqu’alors ensemble, lui par l’invention et la composition, moi en enseignant, en exerçant et en faisant exécuter, ne serait pas tout à fait déshérité, jusqu’à l’apparition d’un nouveau génie de même trempe. En un mot, l’enthousiasme qu’éveille en nous le désespoir d’une grande perte m’avait saisi tout entier. J’étais libre de tout travail ; j’aurais terminé la pièce en peu de mois ; jouée sur tous les théâtres en même temps, elle eût été la plus magnifique fête funèbre qu’il se serait préparée à lui-même et à ses amis. Il me semblait être guéri, être consolé. Mais divers obstacles s’opposèrent à l’exécution : avec un peu de réflexion et de prudence, je les aurais écartés peut-être : mon ardeur passionnée et mon trouble les augmentèrent ; le caprice et la précipitation me firent abandonner ce projet, et je ne puis encore songer à l’accablement dans lequel je me vis alors plongé : c’est de ce moment que je me sentis véritablement séparé de Schiller, que je fus privé de son commerce. Mon imagination d’artiste ne pouvait plus s’occuper du monument que j’avais songé à lui élever, et1


1. Allusion à la dernière scène de la Fiancee de Mestine.