Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/324

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loin sans voir percer l’oreille du faune à travers la simplicité rustique d’un riche gentilhomme de campagne. Dans les angles de la salle étaient de beaux plâtres d’Apollino et d’autres statues, mais affublées d’une singulière parure : le maître avait cru devoir, par égard pour la bonne société, leur ajuster ses vieilles manchettes en guise de feuilles de figuier. Il y avait de quoi s’alarmer, car on peut être sûr qu’une absurdité en annonce toujours une autre, et cela se trouva vrai cette fois. La conversation s’était soutenue, dn moins de notre part, sur un ton assez modéré, sans être toutefois des plus convenables en présence des jeunes gens ; mais, au dessert, quand on les eut congédiés, notre bizarre gentilhomme se leva d’un air solennel, enleva les manchettes et dit qu’il était temps de se comporter d’une manière un peu plus libre et plus naturelle. Nous fimes entendre gaiement à la dame de la maison, qui nous faisait pitié, qu’elle était libre de se retirer, car nous prévoyions où notre hôte en voulait venir. Il nous avait fait servir du bourgogne en* core plus généreux, auquel nous ne fîmes pas un mauvais accueil. Cependant il nous fut permis, une fois la table levée, de proposer une promenade.

A la tombée de la nuit, Hagen obligea sa pauvre femme de chanter, en s’accompagnant du piano, quelques chansons, qu’elle put choisir à son gré, et la bonne exécution nous fit un vrai plaisir. Mais lui, éclatant à la fin, il exprima son mécontentement de ces fades chansons ; il prétendit en chanter une bien meilleure, et la bonne dame dut accompagner sur son piano une strophe absurde et indécente. Alors, indigné d’un procédé si malséant, je sentis que le moment était venu de monter sur mes chevaux de jeune homme, sur lesquels j’avais autrefois caracolé si hardiment. Après que notre homme eut répété plusieurs fois sur ma demande la détestable strophe, je lui assurai que la poésie était excellente, mais qu’il devait s’efforcer de rendre dignement par un débit soigné cette œuvre admirable et de la relever par la justesse de l’expression. Jel’entretins d’abord des forte et des piano, puis des nuances délicates, de l’accent, de l’opposition entre le doux murmure et le cri. Cet esprit baroque semblait prendre plaisir aux exigences sans nombre de son instituteur ; il essayait pourtant quelquefois de m’inter-