Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/325

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

romprem’interrompre en nous versant du bourgogne et nous offrant des gâteaux. Wolf, aux abois, s’était retiré ; l’abbé Henke se promenait dans la chambre avec sa longue pipe, et prenait son temps pour jeter par la fenêtre le bourgogne qu’on lui avait versé malgré lui, attendant avec un calme imperturbable la fin de cette folie. Mais je le mis à une rude épreuve, car j’exigeais toujours davantage, une expression toujours plus extravagante de mon docile et humoristique écolier, et, vers minuit, je finis par déclarer mauvais tout ce que j’avais entendu. « Tout cela est seriné, lui dis-je, cela ne vaut rien. Il vous faut maintenant trouver la vraie expression par vous-même et lutter de la sorte avec le poète et le compositeur. »

Il avait l’esprit assez délié pour deviner que derrière ces folies se dérobait un sens caché, et il parut se divertir d’un abus si téméraire de respectables leçons. Cependant il était lui-même fatigué et, l’on pourrait dire, maté, et, lorsque enfin je tirai ma conclusion, savoir qu’il devait d’abord se livrer au sommeil, pour attendre qu’il lui vînt peut-être en songe une révélation, il céda volontiers et nous permit d’aller goûter nous-mêmes le repos.

Le lendemain, nous fûmes levés de bonne heure et prêts à partir. Le déjeuner se passa fort décemment. Il semblait que notre hôte ne voulût pas nous laisser quitter sa maison avec une impression trop défavorable. Comme conseiller provincial, il sut nous rendre un compte intéressant, mais baroque, à sa manière, de l’état et des affaires de la province. Nous nous quittâmes en fort bons termes, et nous pûmes remercier cordialement de sa fidèle compagnie dans cette périlleuse aventure notre ami Henke, qui s’en retournait à Helmstaedt avec sa longue pipe toujours entière.

Il nous fut donné en revanche de faire à Halberstadt un séjour parfaitement paisible et satisfaisant pour la raison. Il y avait déjà quelques années que le noble Gleim était allé rejoindre ses anciens amis. Une visite que je lui avais faite longtemps auparavant ne m’avait laissé qu’un vague souvenir ; une vie tumultueuse et variée avait presque effacé de ma mémoire les particularités de sa personne et de son entourage. Je n’avais pu, ni dans ce temps-là ni depuis, lier avec lui