Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/358

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local ajoutaient au bon marché un certain attrait. On parlait, on riait, on se moquait les uns des autres, et l’on buvait toujours plus que de raison de ce vin flatteur.

On rapportait sur ce pèlerinage l’anecdote suivante. Trois vieillards se rendirent à Weheditz pour se régaler de ce bon vin :

Le colonel Otto, âgé de 87 ans.

Le capitaine Muller, âgé de 84 —

Un bourgeois d’Erfourt, âgé de 82 —

Total 253 ans.

Ils burent gaillardement, et le dernier montra seul au retour quelques signes d’ivresse ; les deux autres prirent leur cadet sous le bras et le ramenèrent heureusement chez lui.

Mais le jour est si long qu’il ne peut se passer sans une occupation utile, et, avec l’assistance de Riemer, je continuai ma biographie. Nous avions toujours, pour la lecture ordinaire et la méditation, les petits traités de Plutarque ; et d’ailleurs, dans un si nombreux concours d’hommes marquants, qui, dans une liberté désœuvrée, s’entretiennent volontiers de ce qui les intéresse, nous ne pouvions manquer d’acquérir de l’instruction et de l’expérience.

Entre autres livres importants, qui devaient me laisser une impression durable, je lus Sainte-Croix : Examen des historiens d’Alexandre, les Idées de Heeren sur la politique et le commerce des peuples de l’antiquité, f’Histoire de la philosophie, par de Gérando. Le livre de Jacobi : Des choses divines, m’affligea. Comment pouvais-je accueillir avec joie l’ouvrage d’un ami si cher, où je voyais développée la thèse que la nature nous cache Dieu 1 Avec mon intuition pure, profonde, native et exercée, qui m’avait instruit fidèlement à voir Dieu dans la nature et la nature en Dieu, tellement que cette idée faisait le fond de toute mon existence, une assertion si étrange, si étroite et bornée, ne devaitelle pas séparer pour jamais mon esprit de l’homme excellent dont je vénérais le cœur avec tendresse ? Mais je ne m’abandonnai pas à mon douloureux chagrin : je me réfugiai dans mon ancien asile, et, pendant plusieurs semaines, je trouvai dans l’Éthique de Spinosa ma nourriture journalière.