Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/378

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Quoi de plus triste que de vouloir aider un poète à représenter des contrées désertes, que l’imagination la plus vive ne saurait ni recréer ni peupler ? Ne faut-il pas reconnaître qu’en son temps Virgile eut déjà de la peine à représenter au monde latin cet état primitif, pour habiller de quelque parure poétique, aux yeux des Romains de son siècle, des forteresses et des villes absolument changées ? Et ne réfléchit-on pas que des villes dévastées, rasées, englouties, paralysent l’imagination, et lui ôtent absolument l’élan qu’elle aurait eu peut-être encore pour rivaliser avec le poète ?

Parmi les livres qui m’occupèrent, je citerai les Prolegomènes de Wolf. Je les repris. Les travaux de cet homme, avec qui j’étais étroitement lié, avaient dès longtemps éclairé mon sentier. En étudiant cet ouvrage, je réfléchis sur moi-même et j’observai le travail de ma pensée. Je remarquai en moi un mouvement continu de systole et de diastole. J’étais accoutumé à considérer comme un ensemble chacun des poemes d’Homère, et je les voyais là séparés et dispersés, et, tandis que mou esprit se prêtait à cette idée, un sentiment traditionnel ramenait tout surle-champ à un point unique ; une certaine complaisance, que nous inspirent toutes les productions vraiment poétiques, me faisait passer avec bienveillance sur les lacunes, les différences et les défauts qui m’étaient révélés.

La littérature française, ancienne et nouvelle, lixa aussi, cette année, mon attention d’une façon toute particulière. Les œuvres de Mme Roland excitèrent mon admiration. L’apparition de pareils talents et de pareils caractères sera peut-être le principal avantage que des temps malheureux auront procuré à la postérité. Ce sont ces caractères qui donnent une si haute valeur aux jours les plus abominables de l’histoire du monde. L’histoire de Jeanne d’Arc, dans tous ses détails, produit un effet pareil ; seulement la distance de plusieurs siècles répand sur eux une ombre mystérieuse. C’est encore ainsi que les poésies de Marie de France doivent au voile vaporeux des années qui nous séparent d’elle plus de grâce et de charme.

La mésintelligence qui éclata entre Voss et Stolberg me fut particulièrement sensible. Elle donna lieu à des réflexions diverses.