Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/398

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puis longtemps attiré ; mais il trouve bientôt dans cette société un homme dont le caractère lui va beaucoup mieux.

Shaftesbury, qu’il me suffit de nommer pour rappeler à tout esprit cultivé un remarquable penseur, Shaftesbury vécut dans un temps où divers mouvements se manifestaient dans la religion de sa patrie ; où l’Église dominante songeait à réprimer violemment les hétérodoxes. L’État, les mœurs, étaient aussi exposés à des mesures faites pour alarmer les hommes sages et bien pensants. Contre tous ces maux, il crut que le mieux était d’agir par la gaieté. « Qn ne voit bien, dit-il, que ce qu’on observe avec sérénité. Celui qui peut regarder d’un oeil serein dans son propre cœur doit être un honnête homme. » C’était le point essentiel, duquel découlaient tous les autres biens. L’esprit, l’enjouement, l’humour, étaient les vrais organes avec lesquels un pareil tempérament saisit le monde. Tous les objets, même les plus éloignés, devaient supporter cette lumière et cette liberté, s’ils ne faisaient pas étalage d’une dignité présomptueuse, mais renfermaient en eux ununérite véritable, qui ne craignît pas l’épreuve. Dans cette ingénieuse tentative pour maîtriser les choses, il fallait bien s’assurer des arbitres, et le sens commun fut pris pour juge du fond, le goût, pour juge dela forme.

Notre Wieland ne trouva pas dans cet homme un devancier à suivre, ni un associé avec qui il dût travailler, mais un véritable esprit jumeau, auquel il ressemblait parfaitement sans s’être formé sur lui. C’est ainsi qu’on ne pourrait dire des Ménechmes, lequel est l’original et lequel la copie.

Ce que Shaftesbury, né dans une condition plus relevée, mieux pourvu de ressources temporelles, plus favorisé par ses voyages, ses emplois, sa connaissance du monde, flt dans une sphère plus étendue, à une époque plus sérieuse, dans la maritime Angleterre, notre ami l’accomplit, d’un lieu d’abord très-borné, par un travail opiniâtre, par une action soutenue, dans son pays partout environné de terres et de montagnes, et le résultat en fut (pour nous servir dans ce court exposé d’une expression brève, mais généralement cômprise) cette philosophie populaire par laquelle un esprit pratique, exercé, est érigé en arbitre de la valeur morale des choses comme de leur valeur esthétique.