Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/399

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Cette philosophie, préparée en Angleterre et favorisée aussi en Allemagne par les circonstances, fut donc répandue avec le concours d’une infinité de personnes bien intentionnées, par les poétiques et savants ouvrages, et par la vie même de notre ami.

Au reste, si nous avons pu trouver Shaftesbury et Wieland parfaitement semblables dans leurs vues et leurs sentiments, Wieland l’emporta de beaucoup par le talent : en effet, ce que l’Anglais enseigne et recommande avec sagesse, l’Allemand sait l’exposer en poète et en orateur, en vers, et en prose.

Mais, dans l’exécution, la forme française devait particulièrement lui plaire. La sérénité, l’enjouement, l’esprit, l’élégance, se montrent déjà Chez les Français. : son imagination fleurie, qui ne veut s’occuper maintenant que de choses légères et gaies, se tourne vers les contes de fées et de chevalerie, qui lui procurent la plus grande liberté. Ici la France lui fournit encore dans les Mille et une Nuits, dans la Bibliothèque des Romans, une matière à demi préparée, tandis que les vieux trésors de ce genre que possède l’Allemagne étaient encore bruts et indigestes.

Ce furent justement ces poèmes qui étendirent et consolidèrent le plus la -gloire de Wieland. Sa gaieté fut bienvenue chez tout le monde, et les plus graves Allemands s’en accommodèrent, car tous ses ouvrages parurent à propos et au moment favorable. Ils étaient tous écrits dans l’esprit que nous avons développé plus haut. L’heureux poète entreprit souvent en artiste de donner par la forme une haute valeur à un sujet indifférent, et l’on ne peut nier qu’il ne fasse triompher tantôt la raison sur les forces supérieures, tantôt la sensualité sur les forces morales ; il faut reconnaître aussi qu’au bon moment, tout ce qui peut orner les belles âmes prend le dessus.

La traduction de Shikspoare fut antérieure, sinon à tous ces travaux, du moins à la plupart. Wieland ne craignait pas que l’étude fit tort à son originalité ; il fut convaincu de bonne heure que la traduction de quelques ouvrages est, tout comme le remaniement de sujets connus, le meilleur délassement pour un esprit vif et fécond.

Traduire Shakspeare élait dans ce temps-là une audacieuse