Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de cette voiture répondit en jurant que c’étaient des Françaises, qui croyaient pouvoir se tirer d’affaire avec leur papier-monnaie, mais qu’il ne manquerait pas de verser à la première occasion. Nous lui reprochâmes ses sentiments haineux sans I’adoucir le moins du monde. Comme on avançait très-lentement, je m’approchai de la portière et j’adressai aux dames quelques paroles obligeantes.ee qui éclaircit un peu un beau visage, qu’un air d’angoisse avait rendu sombre.

Cette dame me confia aussitôt qu’elle allait rejoindre son mari à Trêves, et qu’elle désirait rentrer de là en France le plus tôt possible. Comme je lui fis observer que cette démarche était fort précipitée, elle m’avoua que, outre l’espérance de retrouver son mari, la nécessité de vivre de son papier l’avait déterminée. Du reste elle montrait une telle confiance dans les forces unies des Prussiens, des Autrichiens et des émigrés, que, le temps et le lieu l’eussent-ils permis, on aurait eu de la peine à la retenir.

Pendant notre conversation, un singulier incident se présenta. Par-dessus le chemin creux où nous étions engagés, on avait fait passer un canal en bois, qui portait l’eau nécessaire sur la roue d’un moulin situé de l’autre côté. On aurait pu croire la hauteur de la charpente calculée pour un char de foin ; mais la voiture était tellement chargée par-dessus, et les boîtes et les caisses élevées en pyramides les unes sur les autres, que le canal lui opposa un obstacle insurmontable.

Les postillons, se voyant arrêtés pour si longtemps, se mirent à jurer et à tempêter ; mais nous offrîmes poliment nos services pour décharger la voiture et la recharger de l’autre côté de la barrière ruisselante. La jeune et bonne dame, peu à peu rassurée, ne savait comment nous témoigner assez de reconnaissance, et sa confiance en nous s’accrut de plus en plus. Elle écrivit le nom de son mari, et nous pria instamment, comme nous devions arriver à Trêves avant elle, de vouloir bien donner par écrit, à la porte de la ville, l’adresse de son mari. Avec toute noire bonne volonté, nous désespérions du succès, vu la grandeur de la ville, mais elle ne laissa pas de croire que nous pourrions réussir.

Arrivés à Trêves, nous trouvâmes la ville encombrée de