Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/99

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rait ; mais elle n’avait rien à éclairer. Les tentes avaient disparu ; les bagages, les voitures et les chevaux, tout était bien loin, et notre petite société se trouvait surtout dans une étrange position. Nos chevaux devaient nous prendre à la place où nous étions, et ils étaient restés en arrière. Aussi loin que nous portions la vue, à la faveur de cette pale lumière, tout semblait désert et vide. En vain prêtions-nous l’oreille : on n’entendait aucun bruit, comme on ne voyait aucune figure. Incertains et flottants, nous préférâmes ne pas quitter la place désignée, de peur de mettre nos gens dans le même embarras et de les manquer tout à fait. Mais c’était quelque chose d’atlreux, en pays ennemi, après de tels événements, d’être ou du moins de paraître pour le moment, isolé, abandonné. Nous observions si peut-être l’ennemi ne ferait pas une démonstration, mais on n’apercevait pas le moindre mouvement favorable ou défavorable.

Nous amassons peu à peu toute la paille restée des tentes voisines, et nous la brûlons, non sans inquiétude. Attirée parla flamme, une vieille vivandière s’approche de nous. Pendant la retraite, elle s’était peut-être attardée dans quelques villages éloignés et n’était pas restée oisive,car elle portait sous les bras des paquets assez volumineux. Après qu’elle nous eut salués et qu’elle se fut réchauffée, elle commença par élever jusqu’au ciel le grand Frédéric, et la guerre de Sept Ans, qu’elle prétendait avoir suivie encore enfant, puis elle se répandit en invectives contre les princes et les chefs d’aujourd’hui, qui menaient une si grande troupe dans un pays où la vivandière ne pouvait faire son métier, à quoi on aurait dû penser d’abord. Sa manière de considérer les choses pouvait amuser et distraire un moment. Enfin nos chevaux arrivèrent, à notre grande joie, et nous commenççlmes avec le régiment de Weimar cette périlleuse retraite.

Les mesures de prévoyance, les ordres significatifs, faisaient craindre que les ennemis ne restassent pas spectateurs oisifs de notre marche rétrograde. On avait vu avec anxiété pendant le jour les bagages, et surtout l’artillerie, labourant le sol détrempé, s’avancer d’une marche cahotante : comment tout se passerait-il pendant h nuit ? On voyait avec regret des chariots de bagage précipités, brisés, couchés dans les ruisseaux ; on