Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/121

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vous en parler que lorsque tout serait décidé ; la faute que nous venons de commettre, me force à trahir ce secret. Oui, pour nous pardonner à nous-mêmes, il faut que nous ayons le courage de changer de position ; car désormais il ne dépend plus de nous de changer le sentiment qui nous a rapprochés.

Elle le releva, prit son bras, s’y appuya avec confiance, et tous deux retournèrent au château sans échanger une parole.

Lorsque Charlotte fut seule dans sa chambre à coucher, elle sentit la nécessité de revenir entièrement aux sensations et aux pensées convenables à l’épouse d’Édouard. Son caractère éprouvé, l’habitude de se juger elle-même et de se dicter des lois, la secondèrent si bien, qu’elle crut à la possibilité de rétablir bientôt et complètement, non-seulement dans son cœur, mais encore dans celui de tous les siens, l’équilibre troublé par un instant d’oubli. Le souvenir de la visite nocturne de son mari qui lui avait été d’abord si pénible, lui causa un frémissement mystérieux auquel succéda bientôt un pieux et doux espoir. Dominée par cet espoir, elle s’agenouilla, et répéta au fond de son âme le serment qu’elle avait prononcé au pied des autels, le jour de son union avec Édouard. Les inclinations, les penchants contraires à ce serment, n’étaient plus pour elle que des visions fantastiques, que la force de sa volonté reléguait dans un lointain ténébreux ; et elle se retrouva tout à coup telle qu’elle avait été, et que désormais elle voulait rester toujours. Une douce fatigue s’empara de ses sens et elle ne tarda pas à s’endormir d’un sommeil bienfaisant et tranquille.