Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/122

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Le Baron se trouvait dans une situation d’esprit bien différente. Le sommeil était si loin de lui, qu’il ne songeait pas même à se déshabiller. Tenant toujours dans ses mains l’acte copié par Ottilie, il couvrait les premières pages de baisers, et regardait avec une muette admiration celles qui paraissaient écrites de sa main à lui. L’idée que ce papier était un contrat de vente, l’avait désespéré d’abord ; mais il se rappela bientôt que ce contrat accomplissait un de ses plus chers désirs, et que la copie qui lui était si chère devait rester entre ses mains. Quoique profanée par des signatures authentiques, son cœur pourrait toujours reconnaître dans cette copie les caractères de la main d’Ottilie, et cette conviction le consola.

La lune venait de se lever au-dessus des plus grands arbres de la forêt. L’air était tiède : entraîné par un vague besoin de mouvement, Édouard descendit au jardin. Il s’y trouva trop à l’étroit, et se mit à courir à travers la campagne, et la campagne lui parut trop vaste ; c’est qu’il était à la fois le plus heureux et le plus agité des mortels. L’instinct le ramena sous les murs du château, sous les fenêtres d’Ottilie.

— Des murailles et des verroux nous séparent, se dit-il, mais nos cœurs sont unis. Si elle était là, devant moi, elle volerait dans mes bras, je me précipiterais dans les siens ! Cette certitude ne doit-elle pas suffire à mon bonheur ?

Autour de lui, tout était silence et repos, et s’il n’avait pas été absorbé par des rêves séduisants, il aurait pu entendre le travail nocturne de ces animaux infatigables,