Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/153

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Dans de pareilles dispositions d’esprit, un rapprochement sincère entre elle et sa tante était impossible. Au reste, la position de ces deux femmes devait naturellement les éloigner l’une de l’autre. Un retour complet au passé et dans la vie légale, rendait à Charlotte tout ce qu’elle pouvait jamais avoir espéré, tandis qu’il enlevait à Ottilie tout ce que la vie pouvait lui promettre, et dont elle n’avait eu aucune idée avant sa liaison avec Édouard. Cette liaison lui avait appris à connaître la joie et le bonheur ; et sa situation actuelle n’était plus qu’un vide effrayant.

Un cœur qui cherche, sent vaguement qu’il lui manque quelque chose ; un cœur qui a trouvé et perdu ce qu’il cherchait, a la conscience du malheur ; et, alors, les tendres rêveries, les désirs incertains qui le berçaient doucement deviennent des regrets amers, du dépit, du découragement. Alors le caractère de la femme, quoique façonné pour l’attente, sort de ce cercle passif pour entreprendre, pour faire quelque chose qui puisse lui rendre son bonheur.

Ottilie n’avait point renoncé à Édouard ; Charlotte cependant fut assez prudente pour feindre de regarder comme une chose convenue et certaine, qu’il ne pouvait plus désormais y avoir entre sa nièce et son mari que des relations de protection bienveillante, d’amitié paisible.

Ottilie passait une partie de ses nuits à genoux devant le coffre ouvert où les riches présents d’Édouard se trouvaient encore tels qu’il les y avait placés lui-même. Pour elle, tous ces objets étaient tellement sacrés, qu’elle aurait craint de les profaner en s’en servant. Après ces nuits cruelles, elle sortait, avec les premiers rayons du jour, du château où, naguère ; elle avait été si