Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/154

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heureuse, et se réfugiait dans les solitudes les plus agrestes. Parfois même il lui semblait que le sol ne la portait qu’à regret ; alors elle se jetait dans la nacelle, la faisait glisser jusqu’au milieu du lac, tirait une relation de voyage de sa poche ; et doucement bercée par les vagues, elle se laissait aller à des rêves qui la transportaient dans les pays lointains dont parlait son livre, et où elle rencontrait toujours l’ami que rien ne pouvait éloigner de son cœur.


Mittler, dont nos lecteurs connaissent déjà l’humeur bizarre et l’activité inquiète, avait entendu parler sourdement des troubles survenus au château de ses bons amis, dont il croyait le bonheur à l’abri de tout orage. Persuadé que le mari ou la femme ne tarderait pas à réclamer son intervention, qu’il était très-disposé à leur accorder, il s’attendait à chaque instant à recevoir un message de l’un ou de l’autre. Leur silence l’étonna sans diminuer ses bienveillantes intentions à leur égard, et il finit par se décider à aller leur offrir ses services. Cependant il remettait cette démarche de jour en jour ; l’expérience lui avait prouvé que rien n’est plus difficile que de ramener des personnes douées d’une intelligence supérieure, sur la route dont elles n’ont pu s’éloigner sans le savoir. Après une assez longue hésitation, il prit enfin le parti d’aller trouver Édouard, dont il venait de découvrir la retraite.

La route qu’il fallait suivre pour se rendre près de ce mari égaré, le conduisit à travers une agréable vallée tapissée