Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/159

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ut le mal qu’il lui fait, il aurait honte de lui-même ! Rien ne lui paraît plus simple, plus facile qu’une patience infinie, tandis qu’il ne croit pas à la possibilité d’une douleur infinie, pour laquelle la consolation est une bassesse et le désespoir un devoir. L’immortel chantre de la Grèce, lui qui savait si bien peindre les héros, ne craignait pas de les faire pleurer. Il dit même très-positivement qu’il n’y a de véritablement bon que les hommes riches en larmes. Qu’il fuie loin de moi celui dont les yeux sont toujours secs, car son cœur est sec aussi ! Qu’il soit maudit l’homme heureux qui ne cherche dans l’homme malheureux qu’un spectacle édifiant ! qu’un héros de théâtre qu’il n’applaudit qu’autant qu’il exprime ses angoisses par des paroles mesurées, par des gestes et des attitudes nobles et imposantes ! qu’un gladiateur qui sait mourir avec grâce sous les yeux du spectateur.

Je vous sais gré cependant de votre visite, mon cher Mittler, mais je crois qu’en ce moment nous devrions faire, chacun de notre côté, une petite promenade dans les jardins ; quand nous nous retrouverons, je serai plus calme.

Mittler savait qu’il lui serait difficile de faire revenir la conversation sur le même terrain, aussi chercha-t-il à la continuer en promettant plus d’indulgence ; et le Baron se laissa entraîner par l’espoir d’arriver à une solution quelconque.

— Je conviens, dit-il, que les longs pourparlers et les diverses combinaisons de la réflexion ne servent à rien ; c’est par la réflexion cependant que je suis arrivé à savoir ce que je veux, ce que je dois faire. J’ai pesé le présent et l’avenir, et je n’y ai vu que des malheurs inouïs ou un bonheur ineffable. Dans une pareille