Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il étendit le sujet de son discours sur tous les assistants, et peignit les obligations qu’ils venaient de contracter envers le nouveau-né avec tant de feu et d’exagération, qu’il les embarrassa visiblement ; pour Ottilie, surtout, son énergique et imprudente éloquence fut une véritable torture. Trop ému lui-même pour craindre de causer aux autres des émotions dangereuses, il se tourna tout à coup vers le vieux pasteur en s’écriant d’un ton d’inspiré :

— Et toi, vénérable Patriarche, tu peux dire avec Siméon[1] : « Seigneur, laisse maintenant aller ton serviteur en paix selon ta parole, car mes yeux ont vu le Sauveur de cette maison ! »

Il allait terminer enfin son discours par quelque trait brillant, mais au même instant le pasteur, à qui il allait remettre l’enfant, se pencha en avant et tomba dans les bras du servant. On se pressa autour de lui, on le déposa dans un fauteuil, le chirurgien accourut, et on lui prodigua les secours les plus empressés : vains efforts, le bon vieillard avait cessé de vivre.

La naissance et la mort, le berceau et le cercueil ainsi rapprochés, non par la puissance de l’imagination, mais par un fait réel, était un de ces événements capables de répandre la terreur au milieu de la joie la plus vive. Ottilie seule resta calme et tranquille ; le visage du mort avait conservé son expression de douceur évangélique, et la jeune fille le contempla avec un sentiment d’admiration qui ressemblait presque à de l’envie. Elle sentait

  1. C’est le nom d’un vieillard respectable de Jérusalem qui avait été averti par le Saint-Esprit qu’il ne mourrait point sans avoir vu le Christ. Il se trouva au temple quand on y apporta Jésus pour le faire circoncire, et prononça les paroles que Goethe met ici dans la bourbe de Mittler. (_Note du Traducteur_.)