Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/252

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que chez elle aussi la vie de l’âme était éteinte, et elle se demandait avec douleur pourquoi son corps se conservait toujours.

Depuis longtemps ces tristes pensées occupaient ses journées et les remplissaient de pressentiments de mort et de séparation ; mais ses nuits étaient consolantes et douces. Des visions merveilleuses lui prouvaient que son bien-aimé appartenait encore à cette terre et l’y rattachaient elle-même. Chaque soir ces visions lui apparaissaient au moment où, couchée dans son lit, elle n’était plus entièrement éveillée, et pas encore tout à fait endormie. Sa chambre lui paraissait alors très-éclairée, et elle y voyait Édouard revêtu du costume militaire, debout ou couché, à pied ou à cheval, toujours enfin dans des attitudes différentes et qui n’avaient rien de fantastique. Il agissait et se mouvait naturellement devant elle, et sans qu’elle eût cherché à surexciter son imagination par le plus léger effort. Parfois il était entouré d’objets moins lumineux que le fond du tableau, et dont les uns étaient mouvants et les autres immobiles, tels que des hommes, des chevaux, des arbres, des montagnes. Ces images cependant restaient toujours vagues et confuses ; en cherchant à les définir, le sommeil la surprenait, d’heureux rêves continuaient les visions qui les avaient précédées, et le matin elle se réveillait avec la douce certitude que non-seulement Édouard vivait, mais que leurs rapports mutuels étaient toujours les mêmes.