Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/287

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amie. Cependant je n’ai jamais entièrement perdu l’espoir. La vie à côté d’Ottilie me paraissait si belle, qu’il m’a été impossible d’en faire une abnégation complète ; mille pressentiments, mille signes mystérieux, m’affermissaient malgré moi dans la vague croyance qu’un jour elle pourrait m’appartenir. Un verre qui porte son chiffre et le mien, a été jeté en l’air le jour ou on a posé la première pierre de la maison d’été, et il ne s’est pas brisé, et il a été remis entre mes mains ! Que de combats cruels et inutiles n’ai-je pas soutenus contre moi-même dans ce lieu où nous nous revoyons aujourd’hui ! Fatigué de tant de luttes stériles, j’ai fini par me dire : Mets-toi à la place de ce verre prophétique, deviens toi-même la pierre de touche de ton avenir ; va chercher la mort, non en homme désespéré, mais en homme qui croit encore à la possibilité de vivre ; combats pour Ottilie, qu’elle soit le prix d’une bataille gagnée, d’une forteresse prise d’assaut ; fais des prodiges pour mériter ce prix ! Tels sont les sentiments qui m’ont animé pendant toute la campagne. Aujourd’hui je me sens arrivé au but, car j’ai vaincu les obstacles, j’ai renversé les difficultés qui me barraient le passage. Ottilie est enfin mon bien à moi, et ce qui me reste à faire pour passer de cette pensée à la réalisation, n’est plus rien à mes yeux.

— Tu viens de repousser d’avance les observations que je puis et que je dois te faire, répondit le Major, cela ne m’empêchera pas de te parler en ami sincère. Je te laisse le soin de peser le bonheur que tu as trouvé naguère auprès de ta femme ; il ne t’est pas possible de t’aveugler sur ce point, mais je te rappellerai que le Ciel vous a donné un fils, et que par conséquent vous êtes désormais inséparables ; car ce n’est plus trop de vos efforts