Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/50

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— Citez-moi, je vous prie, un de ces cas, dit Charlotte.

— Je vous le répète, Madame, ce n’est pas par des paroles, mais par des expériences chimiques que je me propose de satisfaire votre curiosité ; je ne veux pas vous effrayer par des termes techniques, mais vous éclairer par des faits. Il faut voir devant ses yeux les matières inertes en apparence, et cependant toujours prêtes à agir selon les impulsions de leurs facultés intérieures. Il faut les voir, dis-je, se chercher, s’attirer, se saisir, se dévorer, se détruire, s’anéantir et reparaître, après une nouvelle et mystérieuse alliance, sous des formes nouvelles et inattendues. C’est alors, seulement, que nous pouvons leur accorder une vie immortelle, des sens, de la raison même, car nos sens et notre raison suffisent à peine pour les observer, pour les juger.

— Je conviens, dit Édouard, que les termes techniques, lorsqu’on ne vient pas à leur secours par des objets que la vue puisse saisir, ont quelque chose de fatigant, de ridicule même. Il me semble pourtant, qu’en attendant mieux, nous pourrions donner à ma femme une idée des _affinités électives_, en nous servant de lettres alphabétiques à la place de substances.

— Je crains que cette manière de s’exprimer ne vous paraisse trop pédantesque, dit le Capitaine à Charlotte ; je m’en servirai pourtant à cause de sa précision. Figurez-vous _A_ si étroitement uni à _B_, que plus d’une expérience déjà a prouvé qu’ils étaient inséparables ; supposez les mêmes rapports entre _C_ et _D_, mettez les deux couples en contact, et vous verrez _A_ s’unir à _D_, et _C_ à _B_, sans qu’il soit possible de dire lequel a le premier abandonné l’autre, lequel a le premier cherché et formé un lien nouveau.