Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/100

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pipe ; le reste de la société accepta la proposition de l’hôtesse, qui s’avisa fort à propos de nous indiquer une chambre où il y avait des volets et des rideaux. À peine fûmes-nous entrés, que Charlotte se mit à former un cercle de toutes les chaises ; et, tout le monde s étant assis à sa prière, elle proposa un jeu.

À ce mot, je vis plusieurs de nos jeunes gens, dans l’espoir d’un doux gage, se rengorger d’avance et se donner un air aimable. « Nous allons jouer à compter, dit-elle ; faites attention ! Je vais tourner toujours de droite à gauche ; il faut que chacun nomme le nombre qui lui tombe, cela doit aller comme un feu roulant. Qui hésite ou se trompe reçoit un soufflet, et ainsi de suite, jusqu’à mille. » C’était charmant à voir. Elle tournait en rond, le bras tendu. Un, dit le premier ; deux, le second ; trois» le suivant, etc. Alors elle alla plus vite, toujours plus vite. L’un manque : paf ! un soufflet. Le voisin rit, manque aussi ; paf ! nouveau soufflet ; et elle d’augmenter toujours de vitesse. J’en reçus deux pour ma part, et crus remarquer, avec un plaisir secret, qu’elle me les appliquait plus fort qu’à tout autre. Des éclats de rire et un vacarme universel mirent fin au jeu avant que l’on eût compté jusqu’à mille. Alors les connaissances intimes se rapprochèrent. L’orage était passé. Moi, je suivis Charlotte dans la salle, « Les soufflets, me dit-elle en chemin, leur ont fait oublier le tonnerre et tout. » Je ne pus rien lui répondre. « J’étais une des plus peureuses, continua-t-elle ; mais, en