Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/208

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15 novembre.

Je te remercie, Wilhelm, du tendre intérêt que tu prends à moi, de la bonne intention qui perce dans ton conseil ; mais je te prie d’être tranquille. Laisse-moi supporter toute la crise ; malgré l’abattement où je suis, j’ai encore assez de force pour aller jusqu’au bout. Je respecte la religion, tu le sais ; je sens que c’est un bâton pour celui qui tombe de lassitude, un rafraîchissement pour celui que la soif consume. Seulement… peut-elle, doit-elle être cela pour tous ? Considère ce vaste univers : tu vois des milliers d’hommes pour qui elle ne l’a pas été, d’autres pour qui elle ne le sera jamais, soit qu’elle leur ait été annoncée ou non. Faut-il donc qu’elle le soit pour moi ? Le Fils de Dieu ne dit-il pas lui-même : « Ceux que mon Père m’a donnés seront avec moi ? » Si donc je ne lui ai pas été donné, si le Père veut me réserver pour lui, comme mon cœur me le dit… De grâce, ne va pas donner à cela une fausse interprétation, et voir une raillerie dans ces mots innocents : c’est mon âme tout entière que j’expose devant toi. Autrement j’eusse mieux aimé me taire ; car je hais de perdre mes paroles sur des matières que les autres entendent tout aussi peu que moi. Qu’est-ce que la destinée de l’homme, sinon de fournir la carrière de ses maux, et de boire sa coupe tout entière ? Et si cette coupe parut au Dieu du ciel trop amère lorsqu’il