Page:Gogol - Nouvelles choisies Hachette - Viardot, 1853.djvu/20

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place. Quant aux nobles, on ne rencontrait que des employés qui marchaient l’oreille basse. J’en vis un dans un carrefour. Dès que je l’aperçus, je me dis à moi-même : — Eh ! eh, mon petit pigeon, tu ne vas pas au département, mais tu cours après cette fille qui marche devant toi, et tu lui regardes la jambe sous ses jupes qu’elle relève. Quel gaillard qu’un employé ! parole d’honneur, il ne le cédera à aucun officier de l’armée. Qu’une femme passe devant lui en chapeau, il ne manquera pas de la pousser du coude. — Tandis que je pensais à tout cela, je vis une voiture s’approcher d’un magasin devant lequel je passais. Je la reconnus sur-le-champ ; c’était la voiture de notre directeur. — Mais il n’a rien à faire dans ce magasin, pensai-je aussitôt ; ce doit être sa fille. — Je me serrai contre la muraille. Le laquais ouvrit la portière, et elle s’élança de la voiture comme un oiseau de sa cage. Quand elle regarda de côté et d’autre, quand ses yeux rencontrèrent les miens.... Ah ! mon Dieu, mon Dieu, je suis perdu, tout à fait perdu.... Et pourquoi s’avisait-elle de sortir par un si mauvais temps ? Qu’on dise après cela que les femmes n’ont pas une grande passion pour tous ces chiffons de modistes. Elle ne me reconnut pas, et moi-même je tâchai de m’envelopper le plus possible, car mon manteau était fort sale et fait à la vieille mode. On porte aujourd’hui des manteaux