Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/108

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« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’envoyez-vous cette calamité ? S’il s’agissait d’un bras ou d’une jambe, ce ne serait que demi-malheur. Mais, sans nez, un homme n’est plus un homme ; c’est un rien qui vaille, bon à jeter par la fenêtre. Si encore je l’avais perdu en duel, ou à la guerre, ou par ma faute !… Hélas non ! il a disparu comme cela, sans rime ni raison… Non, reprit-il après quelques instants de silence, c’est inconcevable. Je suis le jouet d’un cauchemar, d’une hallucination. Sans doute ai-je bu, au lieu d’eau pure, de cette eau-de-vie dont je me frotte le menton quand on m’a fait la barbe. Cet imbécile d’Ivan aura oublié d’emporter le flacon et je l’aurai avalé par distraction. »

Pour se convaincre qu’il n’était pas ivre, le major se pinça si fort qu’il en poussa un cri. La douleur le convainquit qu’il jouissait bel et bien de toutes ses facultés. Il s’approcha à petits pas du miroir, les yeux à demi clos, dans l’espoir qu’en les rouvrant, il aurait la surprise de retrouver son nez en bonne et due place ; mais il bondit aussitôt en arrière en grommelant :

« Pouah ! quelle sale bobine ! »

C’était vraiment à n’y rien comprendre. Un bouton, une cuiller d’argent, une montre ou tout autre objet de ce genre, passe encore ! Mais perdre son nez, et dans son propre logis !…

Tout bien considéré, le major Kovaliov se persuada que l’auteur du délit ne pouvait être que Mme Podtotchine. Cette personne désirait le voir épouser sa fille ; lui-même, à l’occasion, courtisait volontiers la demoiselle, mais reculait devant