Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/22

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occupé : il avait ramassé tous ses rouleaux et les remettait dans le sac ; puis, sans même lui accorder un regard, il s’en alla de l’autre côté du paravent. Tout en prêtant l’oreille au bruit des pas qui s’éloignaient, Tchartkov sentait son cœur battre à coups précipités. Il serrait le rouleau d’une main crispée et tremblait de tout le corps à la pensée de le perdre. Soudain les pas se rapprochèrent : le vieillard s’était sans doute aperçu qu’un rouleau manquait. Et de nouveau le terrible regard transperça le paravent, se posa sur lui. Le peintre serra le rouleau avec toute la force du désespoir ; il fit un suprême effort pour bouger, poussa un cri et… se réveilla.

Une sueur froide l’inondait ; son cœur battait à se rompre ; de sa poitrine oppressée, son dernier souffle semblait prêt à s’envoler. « C’était donc un songe ? » se dit-il en se prenant la tête à deux mains. Pourtant l’effroyable apparition avait eu tout le relief de la réalité. Maintenant encore qu’il ne dormait plus, ne voyait-il pas le vieillard rentrer dans le cadre, n’apercevait-il pas un pan de l’ample costume, tandis que sa main gardait la sensation du poids qu’elle avait tenu quelques instants plus tôt ? La lune se jouait toujours à travers la pièce, arrachant à l’ombre ici une toile, là une main de plâtre, ailleurs une draperie abandonnée, sur une chaise un pantalon, des bottes non cirées. À cet instant seulement Tchartkov s’aperçut qu’il était non plus couché dans son lit, mais bien planté juste devant le tableau. Il n’arrivait pas à comprendre ni comment il se trouvait là, ni surtout pourquoi le portrait s’offrait à lui entièrement