Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/21

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Son cœur se glaça. Et soudain il vit le vieillard remuer, s’appuyer des deux mains au cadre, sortir les deux jambes, sauter dans la pièce. La fente ne laissait plus entrevoir que le cadre vide. Un bruit de pas retentit, se rapprocha. Le cœur du pauvre peintre battit violemment. La respiration coupée par l’effroi, il s’attendait à voir le vieillard surgir auprès de lui. Il surgit bientôt en effet, roulant ses grands yeux dans son impassible visage de bronze. Tchartkov voulut crier : il n’avait plus de voix ; il voulut remuer : ses membres ne remuaient point. La bouche bée, le souffle court, il contemplait l’étrange fantôme dont la haute stature se drapait dans son bizarre costume asiatique. Qu’allait-il entreprendre ? Le vieillard s’assit presque à ses pieds et tira un objet dissimulé sous les plis de son ample vêtement. C’était un sac. Il le dénoua, le saisit par les deux bouts, le secoua : de lourds rouleaux, pareils à de minces colonnettes, en tombèrent avec un bruit sourd ; chacun d’eux était enveloppé d’un papier bleu et portait l’inscription : « 1 000 ducats. » Le vieil homme dégagea de ses larges manches ses longues mains osseuses et se mit à défaire les rouleaux. Des pièces d’or brillèrent. Surmontant son indicible terreur, Tchartkov, immobile, couvait des yeux cet or, le regardait couler avec un tintement frêle entre les mains décharnées, étinceler, disparaître. Tout à coup, il s’aperçut qu’un des rouleaux avait glissé jusqu’au pied même du lit, près de son chevet. Il s’en empara presque convulsivement et, aussitôt, effrayé de son audace, jeta un coup d’œil craintif du côté du vieillard. Mais celui-ci semblait très