Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/24

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maisons ; mais déjà de petits nuages couraient, de plus en plus nombreux, sur le ciel. Tout était calme ; de temps en temps montait d’une ruelle invisible le cahotement lointain d’un fiacre, dont le cocher somnolait sans doute au bercement de sa rosse paresseuse, dans l’attente de quelque client attardé. Tchartkov resta longtemps à regarder, la tête hors du vasistas. Les signes précurseurs de l’aurore se montraient déjà au firmament lorsqu’il sentit le sommeil le gagner ; il ferma le vasistas, regagna son lit, s’y allongea et s’endormit, cette fois, profondément.

Il s’éveilla très tard, la tête lourde, en proie à ce malaise que l’on éprouve dans une chambre enfumée. Un jour blafard, une désagréable humidité s’insinuaient dans l’atelier à travers les fentes des fenêtres, que bouchaient des tableaux et des toiles préparées. Sombre et maussade comme un coq trempé, Tchartkov s’assit sur son divan en lambeaux ; il ne savait trop qu’entreprendre, quand, soudain, tout son rêve lui revint en mémoire ; et son imagination le fit revivre avec une intensité si poignante qu’il finit par se demander s’il n’avait point réellement vu le fantôme. Arrachant aussitôt le drap, il examina le portrait à la lumière du jour. Si les yeux surprenaient toujours par leur vie extraordinaire, il n’y découvrait rien de particulièrement effrayant ; malgré tout, un sentiment pénible, inexplicable, demeurait au fond de son âme : il ne pouvait acquérir la certitude d’avoir vraiment rêvé. En tout cas, une étrange part de réalité avait dû se glisser dans ce rêve : le regard même et l’expression du vieillard semblaient