Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

confirmer sa visite nocturne ; la main du peintre éprouvait encore le poids d’un objet qu’on lui aurait arraché quelques instants plus tôt. Que n’avait-il serré le rouleau plus fort ? sans doute l’aurait-il conservé dans sa main, même après son réveil.

« Mon Dieu, que n’ai-je au moins une partie de cet argent ! » se dit-il en poussant un profond soupir. Il revoyait sortir du sac les rouleaux à l’inscription alléchante « 1 000 ducats » ; ils s’ouvraient, éparpillant leur or, puis se refermaient, disparaissaient, tandis que lui demeurait stupide, les yeux fixés dans le vide, incapable de s’arracher à ce spectacle, comme un enfant à qui l’eau vient à la bouche en voyant les autres se régaler d’un entremets défendu.

Un coup frappé à la porte le fit fâcheusement revenir à lui. Et son propriétaire entra, accompagné du commissaire de quartier, personnage dont l’apparition est, comme nul ne l’ignore, plus désagréable aux gens de peu que ne l’est aux gens riches la vue d’un solliciteur. Ledit propriétaire ressemblait à tous les propriétaires d’immeubles sis dans la quinzième ligne de l’île Basile, dans quelque coin du Vieux Pétersbourg ou tout au fond du faubourg de Kolomna ; c’était un de ces individus – fort nombreux dans notre bonne Russie dont le caractère serait aussi difficile à définir que la couleur d’une redingote usée. Aux temps lointains de sa jeunesse, il avait été capitaine dans l’armée et je ne sais trop quoi dans le civil ; grand brailleur, grand fustigeur, débrouillard et mirliflore ; au demeurant un sot. Depuis