Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/34

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évidemment la familiarité.) Travaillez à votre gloire et à la nôtre. Nous savons vous apprécier. L’affluence du public et la fortune (encore que certains de nos confrères s’élèvent contre elle) seront votre récompense. »

Tchartkov lut et relut cette annonce avec un secret plaisir ; son visage rayonnait. Enfin la presse parlait de lui ! La comparaison avec Van Dyck et Titien le flatta énormément. L’exclamation « Bravo, André Pétrovitch ! » ne fut pas non plus pour lui déplaire : les journaux le nommaient familièrement par ses prénoms ; quel honneur insoupçonné ! Dans sa joie, il entreprit à travers l’atelier une promenade sans fin, en ébouriffant ses cheveux d’une main nerveuse ; tantôt il se laissait choir dans un fauteuil, puis bondissait et s’installait sur le canapé, essayant d’imaginer comment il allait recevoir les visiteurs et les visiteuses ; tantôt il s’approchait d’une toile, esquissant des gestes susceptibles de mettre en valeur tant le charme de sa main que la hardiesse de son pinceau.

Le lendemain, on sonna à sa porte ; il courut ouvrir. Une dame entra, suivie d’une jeune personne de dix-huit ans, sa fille ; un valet en manteau de livrée doublé de fourrure les accompagnait.

« Vous êtes bien M. Tchartkov ? » s’enquit la dame.

Le peintre s’inclina.

« On parle beaucoup de vous ; on prétend que vos portraits sont le comble de la perfection. »

Sans attendre de réponse, la dame, levant son face-à-main, s’en fut d’un pas léger examiner les murs ; mais comme elle les trouva vides :