Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/36

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face-à-main toutes les galeries d’Italie… « Cependant M. Nol… Ah, celui-là comme il peint… Je trouve ses visages plus expressifs même que ceux du Titien !… Vous ne connaissez pas M. Nol ?

– Qui est ce Nol ?

– M. Nol ! Ah, quel talent ! Il a peint le portrait de Lise lorsqu’elle n’avait que douze ans… Il faut absolument que vous veniez le voir. Lise, montre-lui ton album. Vous savez que nous sommes ici pour que vous commenciez son portrait, séance tenante.

– Comment donc !… À l’instant même !… »

En un clin d’œil il avança son chevalet chargé d’une toile, prit sa palette, attacha son regard sur le pâle visage de la jeune fille. Tout connaisseur du cœur humain aurait aussitôt déchiffré sur ces traits : un engouement enfantin pour les bals ; pas mal d’ennui et des plaintes sur la longueur du temps, avant comme après le dîner ; un vif désir de faire voir ses robes neuves à la promenade ; les lourdes traces d’une application indifférente à des arts divers, inspirée par sa mère en vue d’élever son âme. Tchartkov, lui, ne voyait sur cette figure délicate qu’une transparence de chair rappelant presque la porcelaine et bien faite pour tenter le pinceau ; une molle langueur, le cou fin et blanc, la taille d’une sveltesse aristocratique le séduisait. Il se préparait d’avance à triompher, à montrer l’éclat, la légèreté d’un pinceau qui n’avait eu jusqu’ici affaire qu’à de vils modèles aux traits heurtés, à de sévères antiques, à quelques copies de grands maîtres. Il voyait déjà ce gentil minois rendu par lui.