Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/37

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« Savez-vous quoi ? fit la dame, dont le visage prit une expression quasi touchante. Je voudrais… Elle porte une robe… Je préférerais, voyez-vous, ne pas la voir peinte dans la robe à laquelle nous sommes si habituées. J’aimerais qu’elle fût vêtue simplement, assise à l’ombre de verdures, au sein de quelque prairie… avec un troupeau ou des bois dans le lointain…, qu’elle n’eût pas l’air d’aller à un bal ou à une soirée à la mode. Les bals, je vous l’avoue, sont mortels pour nos âmes ; ils atrophient ce qui nous reste encore de sentiments… Il faudrait, voyez-vous, plus de simplicité. » (Les visages de cire de la mère et de la fille prouvaient, hélas, qu’elles avaient un peu trop fréquenté les dits bals.)

Tchartkov se mit à l’ouvrage. Il installa son modèle, réfléchit quelques instants, prit ses points de repère en battant l’air du pinceau, cligna d’un œil, se recula pour mieux juger de l’effet. Au bout d’une heure, la préparation terminée à son gré, il commença de peindre. Tout entier à son œuvre, il en oublia jusqu’à la présence de ses aristocratiques clientes et céda bientôt à ses façons de rapin : il chantonnait, poussait des exclamations, faisait sans la moindre cérémonie, d’un simple mouvement de pinceau, lever la tête à son modèle, qui finit par s’agiter et témoigner d’une fatigue extrême.

« Assez pour aujourd’hui, dit la mère.

– Encore quelques instants, supplia le peintre.

– Non, il est temps de partir… Trois heures déjà, Lise. Ah mon Dieu, qu’il est tard ! s’écria-t-elle en tirant une petite montre accrochée par une chaîne d’or à sa ceinture.