Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/45

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que des écorchés ; la prétendue sainteté de leurs œuvres n’existe que dans l’imagination de ceux qui les contemplent ; Raphaël lui-même n’est pas toujours excellent, et seule une tradition bien enracinée assure la célébrité à bon nombre de ses tableaux ; Michel-Ange est entièrement dénué de grâce, ce fanfaron ne songe qu’à faire parade de sa science de l’anatomie ; l’éclat, la puissance du pinceau et du coloris sont l’apanage exclusif de notre siècle. » Par une transition bien naturelle, Tchartkov arrivait alors à lui-même.

« Non, disait-il, je ne comprends pas ceux qui peinent et pâlissent sur leur travail. Quiconque traîne des mois sur une toile n’est qu’un artisan ; je ne croirai jamais qu’il a du talent ; le génie crée avec audace et rapidité. Tenez, moi, par exemple, j’ai peint ce portrait en deux jours, cette tête en un seul, ceci en quelques heures, cela en une heure au plus… Non, voyez-vous, je n’appelle pas art ce qui se fabrique au compte-gouttes ; c’est du métier, si vous voulez, mais de l’art, non pas ! »

Tels étaient les propos qu’il tenait à ses visiteurs ; ceux-ci à leur tour admiraient la hardiesse, la puissance de son pinceau ; cette rapidité d’exécution leur arrachait même des exclamations de surprise et ils se confiaient ensuite l’un à l’autre.

« C’est un homme de talent, de grand talent ! Écoutez-le parler, voyez comme ses yeux brillent. Il y a quelque chose d’extraordinaire dans toute sa figure ! »

L’écho de ces louanges flattait Tchartkov. Quand les feuilles publiques le complimentaient, il se réjouissait comme un enfant, encore qu’il