Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/44

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devait s’appuyer sur un livre où s’inscriraient très apparemment, ces mots : « J’ai toujours défendu la vérité. »

Au début ces exigences affolaient Tchartkov : impossible de les satisfaire sérieusement dans un laps de temps aussi court ! Mais bientôt il comprit de quoi il retournait et cessa de se mettre martel en tête. Deux ou trois mots lui faisaient deviner les désirs du modèle. Celui qui se voulait en Mars l’était. À celui qui prétendait jouer les Byron, il octroyait une pose et un port de tête byroniens. Qu’une dame désirât être Corinne, Ondine, Aspasie ou Dieu sait quoi encore, il y consentait sur-le-champ. Il avait seulement soin d’ajouter une dose suffisante de beauté, de distinction, ce qui, chacun le sait, ne gâte jamais les choses et peut faire pardonner au peintre jusqu’au manque de ressemblance. L’étonnante prestesse de son pinceau finit par le surprendre lui-même. Quant à ses modèles, ils se déclaraient naturellement enchantés et proclamaient partout son génie.

Tchartkov devint alors, sous tous les rapports, un peintre à la mode. Il dînait à droite et à gauche, accompagnait les dames aux expositions, voire à la promenade, s’habillait en dandy, affirmait publiquement qu’un peintre appartient à la société et ne doit point déroger à son rang. Les artistes, à l’en croire, avaient grand tort de s’accoutrer comme des savetiers, d’ignorer les belles manières, de manquer totalement d’éducation. Il portait maintenant des jugements tranchants sur l’art et les artistes. À l’entendre on prônait trop les vieux maîtres : « Les préraphaélites n’ont peint