Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/47

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les regardant. Certains d’entre eux, qui avaient connu Tchartkov autrefois, n’arrivaient pas à comprendre comment, à peine parvenu à son plein épanouissement, ce garçon bien doué avait soudain perdu un talent dont il avait donné dès ses débuts des preuves si manifestes.

Le peintre enivré ignorait ces critiques. Il avait acquis la gravité de l’âge et de l’esprit ; il engraissait, s’épanouissait en largeur. Journaux et revues l’appelaient déjà « notre éminent André Pétrovitch » ; on lui offrait des postes honorifiques ; on le nommait membre de jurys, de comités divers. Comme il est de règle à cet âge respectable, il prenait maintenant le parti de Raphaël et des vieux maîtres, non point qu’il se fût pleinement convaincu de leur valeur, mais pour s’en faire une arme contre ses jeunes confrères. Car, toujours comme de règle à cet âge, il reprochait à la jeunesse son immoralité, son mauvais esprit. Il commençait à croire que tout en ce bas monde s’accomplit aisément, à condition d’être rigoureusement soumis à la discipline de l’ordre et de l’uniformité ; l’inspiration n’est qu’un vain mot. Bref, il atteignait le moment où l’homme sent mourir en lui tout élan, où l’archet inspiré n’exhale plus autour de son cœur que des sons languissants. Alors le contact de la beauté n’enflamme plus les forces vierges de son être. En revanche les sens émoussés deviennent plus attentifs au tintement de l’or, se laissent insensiblement endormir par sa musique fascinatrice. La gloire ne peut apporter de joie à qui l’a volée : elle ne fait palpiter que les cœurs dignes d’elle. Aussi tous ses sens, tous