Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/48

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ses instincts s’orientèrent-ils vers l’or. L’or devient sa passion, son idéal, sa terreur, sa volupté, son but. Les billets s’amoncelaient dans ses coffres, et comme tous ceux à qui est départi cet effroyable lot, il devint triste, inaccessible, indifférent à tout ce qui n’était pas l’or, lésinant sans besoin, amassant sans méthode. Il allait bientôt se muer en l’un de ces êtres étranges, si nombreux dans notre univers insensible, que l’homme doué de cœur et de vie considère avec épouvante : ils lui semblent des tombeaux mouvants qui portent un cadavre en eux, un cadavre en place de cœur. Un événement imprévu devait cependant ébranler son inertie, réveiller toutes ses forces vives.

Un beau jour il trouva un billet sur sa table : l’Académie des Beaux-Arts le priait, en tant qu’un de ses membres les plus en vue, de venir donner son opinion sur une œuvre envoyée d’Italie par un peintre russe qui s’y perfectionnait dans son art. Ce peintre était un de ses anciens camarades : passionné depuis l’enfance pour la peinture, il s’y était consacré de toute son âme ardente ; abandonnant ses amis, sa famille, ses chères habitudes, il s’était précipité vers le pays où sous un ciel sans nuages mûrit la grandiose pépinière de l’art, cette superbe Rome dont le nom seul fait battre si violemment le grand cœur de l’artiste. Il y vécut en ermite, plongé dans un labeur sans trêve et sans merci. Peu lui importait que l’on critiquât son caractère, ses maladresses, son manque d’usage et que la modestie de son costume fît rougir ses confrères : il se souciait fort peu de leur opinion. Voué corps et âme à l’art, il méprisait tout le