Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/59

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de marteau, le service funèbre des arts infortunés, si étrangement réunis en ce lieu ; tout renforce la lugubre impression.

La vente battait son plein. Une foule de gens de bon ton se bousculaient, s’agitaient à l’envi. « Un rouble, un rouble, un rouble ! » jetait-on de toutes parts, et ce cri unanime empêchait le commissaire-priseur de répéter l’enchère, qui atteignait déjà le quadruple du prix demandé. C’était un portrait que se disputaient ces bonnes gens, et l’œuvre était vraiment de nature à retenir l’attention du moins avisé des connaisseurs. Bien que plusieurs fois restaurée, elle révélait dès l’abord un talent de premier ordre. Elle représentait un Asiatique vêtu d’un ample caftan. Ce qui frappait le plus dans ce visage au teint basané, à l’expression énigmatique, c’était la surprenante vivacité de ses yeux : plus on les regardait, plus ils plongeaient au tréfonds de votre être. Cette singularité, cette adresse de pinceau, provoquait la curiosité générale. Les enchères montèrent bientôt si haut que la plupart des amateurs se retirèrent, ne laissant aux prises que deux grands personnages qui ne voulaient à aucun prix renoncer à cette acquisition. Ils s’échauffaient et allaient faire atteindre au tableau un prix invraisemblable quand l’un des assistants, en train de l’examiner, leur dit soudain :

« Permettez-moi d’interrompre un instant votre dispute. J’ai peut-être plus que personne droit à ce portrait. »

L’attention générale se reporta sur l’interrupteur. C’était un homme d’environ trente-cinq ans,