Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/67

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nombreuses beautés dont s’enorgueillissait alors à bon droit notre capitale, il y en avait une devant qui pâlissaient toutes les autres. Prodige bien rare, la beauté du Nord s’unissait admirablement en elle à la beauté du Midi. Mon père avouait n’avoir plus jamais rencontré semblable merveille. Tout lui avait été donné en partage : la richesse, l’esprit, le charme moral. Parmi la foule de ses soupirants se faisait avantageusement remarquer le prince R***, le plus noble, le plus beau, le plus chevaleresque des jeunes gens, le type accompli du héros de roman, un vrai Grandisson sous tous les rapports. Follement amoureux, le prince R*** se vit payé de retour ; mais les parents de la jeune fille jugèrent le parti insuffisant. Les domaines héréditaires du prince avaient depuis longtemps cessé de lui appartenir, sa famille était mal vue à la Cour ; nul n’ignorait le mauvais état de ses affaires. Soudain, après une courte absence motivée par le désir de rétablir sa fortune, le prince s’entoura d’un luxe, d’un faste inouïs. Des bals, des fêtes magnifiques le firent connaître en haut lieu. Le père de la belle jeune fille lui devint favorable et bientôt les noces furent célébrées avec un grand éclat. D’où provenait ce brusque revirement de fortune ? Personne n’en savait rien, mais on allait chuchotant que le fiancé avait conclu un pacte avec le mystérieux usurier et obtenu de lui un emprunt. Ce mariage occupa la ville entière, les deux fiancés furent l’objet de l’envie générale. Tout le monde connaissait la constance de leur amour, les obstacles qui s’étaient mis au travers, leurs mérites réciproques. Les femmes passionnées se