Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/68

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représentaient d’avance les délices paradisiaques dont allaient jouir les jeunes époux. Mais il en alla tout autrement. En quelques mois le mari devint méconnaissable. La jalousie, l’intolérance, des caprices incessants empoisonnèrent son caractère jusqu’alors excellent. Il se fit le tyran, le bourreau de sa femme ; chose qu’on n’eût jamais attendue de lui, il recourut aux procédés les plus inhumains et même aux voies de fait. Au bout d’un an nul ne pouvait reconnaître la femme qui naguère brillait d’un si vif éclat et traînait après elle un cortège d’adorateurs soumis. Bientôt, incapable de supporter plus longtemps son amère destinée, elle parla la première de divorce. Le mari aussitôt d’entrer en fureur, de se précipiter un couteau à la main dans l’appartement de la malheureuse ; si on ne l’avait retenu, il l’eût certainement égorgée. Alors, fou de rage, il tourna l’arme contre lui-même et termina sa vie en proie à d’horribles souffrances.

» Outre ces deux cas, dont toute la société avait été témoin, on en contait une foule d’autres, arrivés dans les classes inférieures et presque tous plus ou moins tragiques. Ici, un brave homme, fort sobre jusqu’alors, s’était soudain adonné à l’ivrognerie ; là un intègre commis de boutique s’était mis à voler son patron ; après avoir de longues années voituré le monde de fort honnête façon, un cocher de fiacre avait tué son client pour un liard.

» De pareils faits, plus ou moins amplifiés en passant de bouche en bouche, semaient évidemment la terreur parmi les paisibles habitants