Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/7

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Première partie

Nulle boutique du Marché Chtchoukine n’attirait tant la foule que celle du marchand de tableaux. Elle offrait à vrai dire aux regards le plus amusant, le plus hétéroclite des bric-à-brac. Dans des cadres dorés et voyants s’étalaient des tableaux peints pour la plupart à l’huile et recouverts d’une couche de vernis vert foncé. Un hiver aux arbres de céruse ; un ciel embrasé par le rouge vif d’un crépuscule qu’on pouvait prendre pour un incendie ; un paysan flamand qui, avec sa pipe et son bras désarticulé, rappelait moins un être humain qu’un dindon en manchettes ; tels en étaient les sujets courants. Ajoutez à cela quelques portraits gravés : celui de Khozrev-Mirza en bonnet d’astrakan ; ceux de je ne sais quels généraux, le tricorne en bataille et le nez de guingois. En outre, comme il est de règle en pareil lieu, la devanture était tout entière tapissée de ces grossières estampes, imprimées à la diable, mais qui pourtant témoignent des dons naturels du peuple russe. Sur l’une se pavane la princesse Milikitrisse Kirbitievna[1] ; sur une autre s’étale la ville de Jérusalem, dont un

  1. La reine (et non princesse) Milikitrisse est un personnage du conte populaire Bova Korolévitch, dérivé, par l’entremise de l’italien et du serbe, d’une chanson de geste française, Beuves de Hanstone. Milikitrisse (déformation du nom commun italien meretrice, courtisane), mère de Bova, y incarne la ruse, l’astuce féminine (Note du traducteur.)