Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/8

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pinceau sans vergogne a enluminé de vermillon les maisons, les églises, une bonne partie du sol et jusqu’aux mains emmouflées de deux paysans russes en prières. Ces œuvres, que dédaignent les acheteurs, font les délices des badauds. On est toujours sûr de trouver, bâillant devant elles, tantôt un musard de valet rapportant de la gargote la cantine où repose le dîner de son maître, lequel ne risquera certes pas de se brûler en mangeant la soupe ; tantôt l’un de ces « chevaliers » du carreau des fripiers, militaires retraités qui gagnent leur vie en vendant des canifs ; tantôt quelque marchande ambulante du faubourg d’Okhta colportant un éventaire chargé de savates. Chacun s’extasie à sa façon : d’ordinaire les rustauds montrent les images du doigt ; les militaires les examinent avec des airs dignes ; les grooms et les apprentis s’esclaffent devant les caricatures, y trouvant prétexte à taquineries mutuelles ; les vieux domestiques en manteau de frise s’arrêtent là, histoire de flâner, et les jeunes marchandes s’y précipitent d’instinct, en braves femmes russes avides d’entendre ce que racontent les gens et de voir ce qu’ils sont en train de regarder.

Cependant le jeune peintre Tchartkov, qui traversait la Galerie, s’arrêta lui aussi involontairement devant la boutique. Son vieux manteau, son costume plus que modeste décelaient le travailleur acharné pour qui l’élégance n’a point cet attrait fascinateur qu’elle exerce d’ordinaire sur les jeunes hommes. Il s’arrêta donc devant la boutique ; après s’être gaussé à part soi de ces grotesques enluminures, il en vint à se demander