Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/88

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s’empiffre de pain ! Il me restera davantage de café. »

Respectueux des convenances, Ivan Yakovlévitch passa son habit par-dessus sa chemise et se mit en devoir de déjeuner. Il posa devant lui une pincée de sel, nettoya deux oignons, prit son couteau et, la mine grave, coupa son pain en deux. Il aperçut alors, à sa grande surprise, un objet blanchâtre au beau milieu ; il le tâta précautionneusement du couteau, le palpa du doigt… « Qu’est-ce que cela peut bien être ? » se dit-il en éprouvant de la résistance.

Il fourra alors ses doigts dans le pain et en retira… un nez ! Les bras lui en tombèrent. Il se frotta les yeux, palpa l’objet de nouveau : un nez, c’était bien un nez, et même, semblait-il, un nez de connaissance ! L’effroi se peignit sur les traits d’Ivan Yakovlévitch. Mais cet effroi n’était rien, comparé à l’indignation qui s’empara de sa respectable épouse.

« Où as-tu bien pu couper ce nez, bougre d’animal ? s’exclama-t-elle. Ivrogne ! filou ! coquin ! Je vais aller de ce pas te dénoncer à la police, brigand que tu es ! J’ai déjà entendu dire à trois personnes qu’en leur faisant la barbe tu tirailles le nez des gens à le leur arracher ! »

Cependant Ivan Yakovlévitch était plus mort que vif : il venait de reconnaître le nez de M. Kovaliov, assesseur de collège, qu’il avait l’honneur de raser le mercredi et le dimanche.

« Minute, Prascovie Ossipovna ! Je m’en vais l’envelopper dans un chiffon et le poser dans ce coin, en attendant ; je l’emporterai plus tard.