Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/96

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à travers une rangée de vieilles mendiantes, dont le visage entièrement emmitouflé, sauf deux ouvertures pour les yeux, provoquait d’ordinaire ses quolibets. Il n’y avait pas encore grand monde. Kovaliov se sentait si déprimé qu’il ne savait à quoi se résoudre. Ses yeux cherchaient le monsieur dans tous les coins ; ils le découvrirent enfin, arrêté devant une boutique. Le visage dissimulé dans son grand col droit, le Nez se plongeait tout entier dans l’examen des marchandises.

« Comment faire pour l’aborder ? songeait Kovaliov. Tout, le bicorne, l’uniforme, indique le conseiller d’État. Que décider ? »

Il tourna autour du personnage en toussotant. Mais le Nez ne bougea pas.

« Monsieur, dit enfin Kovaliov en s’armant de courage, monsieur…

– Que désirez-vous ? demanda le Nez en se retournant.

– Je suis surpris, monsieur ; vous devriez, il me semble, un peu mieux connaître votre place… Mais puisque je vous retrouve… Avouez que…

– Mille pardons, je ne parviens pas à comprendre ce que vous voulez dire ; expliquez-vous. »

« Comment lui expliquer ? » songea Kovaliov qui, s’enhardissant, reprit : « Évidemment, je… Mais enfin, monsieur, je suis major. Et je ne saurais, convenez-en, me promener sans nez. Que pareille aventure arrive à une vendeuse d’oranges pelées du pont de l’Ascension, passe encore ! Mais moi, monsieur, je suis en passe d’obtenir… Et puis, je suis reçu dans de nombreuses maisons ; je compte parmi mes connaissances Mme la