Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/162

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« J’acceptai de grand cœur, car c’était un moyen de vivre ; et vivre était, en ce moment, toute mon ambition. J’allai donc à son logement ; je remontai, grâce à lui, ma garde-robe, et quelques jours après je l’accompagnai aux ventes de tableaux où on attendait pour enchérisseurs des Anglais de distinction. Je ne fus pas peu surpris de le voir dans l’intimité des gens de la plus haute volée, qui s’en rapportaient à ses jugements sur les tableaux et les médailles, comme à d’infaillibles oracles du goût. En pareil cas il tirait fort bon parti de ma présence. Quand on lui demandait son avis, il me prenait gravement à l’écart, me demandait le mien, levait les épaules, regardait d’un air capable, retournait aux questionneurs et leur assurait qu’il ne pouvait donner d’avis sur une affaire de tant d’importance. Il se présentait parfois telle occasion où il lui fallait pousser plus loin l’effronterie. Un jour, je m’en souviens, il venait de prononcer que le coloris d’un tableau n’avait pas assez de moelleux ; je le vis prendre hardiment une brosse chargée de couleur brune qui se trouvait là par hasard, la passer, du plus grand sérieux, sur le tableau, en présence de toute la compagnie, et demander si les teintes n’y avaient pas gagné quelque chose.

« Sa mission à Paris terminée, avant de me quitter, il me recommanda à plusieurs personnes de distinction comme un homme parfaitement en état de voyager en qualité de gouverneur, et, peu de temps après, je fus à ce titre employé par un gentleman qui avait amené son pupille à Paris pour lui faire faire son tour d’Europe. Je devais être le gouverneur du jeune homme, mais à la condition qu’il se gouvernerait toujours lui-même. Au fait, mon ouaille s’entendait en affaires d’argent beaucoup mieux que moi. Il avait hérité d’une fortune d’environ deux cent mille livres sterling qu’un oncle lui avait laissée dans les Indes occidentales, et ses tuteurs, pour le mettre en état de bien administrer, l’avaient placé chez le procureur ; aussi l’ava-