Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/194

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qui consistait en un vaste corps de logis fermé de fortes grilles, pavé en grès, et, à certaines heures de la journée, commun aux criminels et aux détenus pour dettes. Chaque prisonnier avait d’ailleurs une cellule particulière où on l’enfermait la nuit.

Je m’attendais, en mettant le pied dans ce triste séjour, à n’y entendre que des lamentations, que les mille voix de la misère. Loin de là, les détenus semblaient n’avoir qu’une pensée, celle de s’étourdir par la joie et les cris. Informé de l’espèce de tribut auquel l’usage soumet les nouveaux venus, je ne me le fis pas demander deux fois, quoique le peu d’argent que j’avais apporté fût bien près d’être épuisé. Ma bienvenue fut immédiatement employée en liqueurs, et la prison retentit bientôt d’une sauvage hilarité, d’éclats de rire et de blasphèmes.

« Comment ! me dis-je à moi-même, des hommes si coupables conservent leur gaieté, et moi je serais triste ! Je n’ai de commun avec eux que la privation de la liberté, et je crois avoir plus de motifs d’être heureux. »

Dans cette idée, je cherchais à m’égayer ; mais la gaieté n’a jamais pu naître d’un effort qui, par lui-même, est pénible. J’étais donc assis, d’un air pensif, dans un coin de la prison, lorsqu’un de mes nouveaux camarades s’approcha, s’assit à côté de moi, et m’adressa la parole. J’ai toujours eu pour principe de répondre à tout individu qui semble désirer un entretien avec moi : est-ce un honnête homme, je puis profiter de ses conseils : est-ce un méchant, il peut gagner quelque chose aux miens. Mon interlocuteur me parut avoir de l’esprit, beaucoup de bon sens, pas d’instruction, mais une connaissance parfaite de ce qu’on appelle le monde, ou, pour parler plus exactement, de la nature humaine vue du mauvais côté.

Il me demanda si j’avais eu soin de me pourvoir d’un lit, précaution à laquelle je n’avais pas même songé. « Cela est fâcheux, me dit-il ;