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commune pour couvrir le cadavre du poëte des marbres pompeux de Westminster. Pauvre Goldsmith !

C’est peu de chose en dernier lieu que l’illustration de l’esprit. Ce qui élève un homme au-dessus de tous les autres, c’est la bienveillance et la vertu. Si la bonté avait voulu se faire représenter sur la terre, elle se serait incarnée dans Goldsmith ; elle se joignait en lui à cette ingénuité confiante qui prête souvent au ridicule, mais qui ne fait rire que l’égoïsme. Comme il avait été malheureux toute sa vie, il n’y avait point de malheur qui ne le touchât. Quand il avait de l’argent, il le donnait ; quand il espérait de l’argent, il répondait pour ceux qui en avaient besoin ; quand il n’avait ni argent ni espérances, il dédoublait sa garde-robe ou engageait le dernier de ses bijoux. Un auteur pauvre et un pauvre auteur (cette noble profession n’exclut pas la bassesse des sentiments), protestant qu’il se relèverait de sa misère s’il pouvait, sous un habit décent, présenter à la duchesse de Marlborough deux magnifiques souris blanches dont elle était fort curieuse, Goldsmith lui prêta sa montre pour l’offrir en nantissement d’un habit, et ne revit jamais ni la montre ni l’emprunteur ; mais je présume que les deux souris blanches de la duchesse de Marlborough menèrent celui-ci bien loin. Audacieux, flatteur, fourbe et ingrat, que lui manquait-il pour réussir ?

Le chevalier Croft, qui avait été le meilleur ami de Goldsmith, et qui méritait bien de l’être, m’a dit souvent que le système de Goldsmith était d’obliger jusqu’au point de se mettre exactement dans la position de l’indigent qu’il avait secouru ; et quand on lui reprochait ces libéralités impru-