Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/41

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ment pour ce mariage, et, par suite, les deux familles vivaient dans cette union intime qui précède généralement une alliance sur laquelle on compte des deux côtés.

Convaincu par expérience que les moments où l’on fait sa cour sont les plus heureux de la vie, je croyais devoir en prolonger la durée : les plaisirs divers que nos jeunes gens goûtaient chaque jour l’un près de l’autre semblaient d’ailleurs accroître leur passion.

Nous étions habituellement, dans la matinée, réveillés par de la musique, et quand la journée était belle, nous chassions à cheval. L’intervalle du déjeuner au dîner était consacré par les dames à la toilette et à l’étude : elles lisaient une page, puis elles se regardaient dans la glace, et les philosophes eux-mêmes auraient reconnu que, bien souvent, c’était la glace qui présentait la page la plus belle. Au dîner, ma femme présidait : elle avait toujours tenu à découper elle-même ; c’était l’habitude de sa mère : et elle en prenait occasion de nous faire l’histoire de chaque mets. Quand nous avions dîné, pour empêcher les dames de nous quitter, je faisais ordinairement enlever la table, et, de temps à autre, avec l’aide du maître de musique, nos jeunes filles nous donnaient un concert fort agréable. La promenade, le thé, la danse, les petits jeux, abrégeaient la soirée, sans le secours des cartes ; car j’avais en horreur toute espèce de jeu, autre que le back gammon, auquel mon vieil ami et moi nous risquions quelquefois une partie à deux pence ; et, à ce propos, je ne puis omettre un incident de mauvais augure ; dans la dernière partie que nous fîmes ensemble, je n’avais besoin que d’un quatre, et cinq fois de suite j’amenai double as.

Quelques mois se passèrent ainsi : mais enfin on jugea convenable de prendre jour pour le mariage du jeune couple qui semblait le désirer bien vivement. Je n’ai pas besoin de décrire l’air affairé de ma femme et les malins coups d’œil de mes filles, pendant les apprêts de la noce. Au fait, toute mon attention était absorbée par un autre objet.