Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/47

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ma femme n’était ni moins joyeuse ni moins confiante dans leurs charmes et leur vertu.

Nous étions tout entiers à ces préoccupations quand l’hôtesse entra dans la chambre pour annoncer à son mari que le bizarre personnage qui était chez eux depuis deux jours n’avait pas d’argent et ne pourrait payer sa dépense. « Pas d’argent ! s’écria l’hôte. Non, non ! c’est impossible ; car, pas plus tard qu’hier, il a donné trois guinées à notre bedeau, pour tirer d’affaire un vieux soldat estropié qui allait être fouetté par la ville, comme voleur de chiens ! » Mais, l’hôtesse persistant dans son premier dire, il se disposait à quitter la chambre, jurant qu’il serait payé de façon ou d’autre, quand je le priai de me conduire chez l’étranger dont il venait de nous citer un si bel acte de charité.

Il y consentit, et me présenta à un gentleman qui paraissait avoir environ trente ans, vêtu d’un habit autrefois galonné. Sa taille était bien prise, et sa figure portait l’empreinte des rides de la méditation. Il avait dans l’abord quelque chose de bref et de sec ; quant à la cérémonie, il semblait ou ne pas la comprendre, ou la mépriser. L’hôte sorti, je ne pus m’empêcher d’exprimer, à l’étranger, mon regret de voir un gentleman dans une position comme la sienne, et je lui offris ma bourse pour satisfaire à ses besoins du moment. « Je l’accepte de tout mon cœur, monsieur, me dit-il, et je suis enchanté que la distraction qui m’a fait donner ce que j’avais d’argent sur moi m’ait valu la preuve qu’il existe encore des hommes comme vous. Toutefois, je dois, avant tout, exiger que vous me fassiez connaître le nom et la demeure de mon bienfaiteur, pour que je puisse m’acquitter envers lui, le plus tôt possible. » Je lui donnai sur ce point pleine satisfaction, en lui apprenant, tout à la fois, mon nom, mes malheurs et le lieu où j’allais m’établir. « Cette rencontre, reprit-il, est plus heureuse encore que je ne l’espérais, puisque, moi aussi, je fais la même route que vous ; j’étais retenu ici, depuis deux jours, par les grosses eaux