Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

m’aider à faire un regain de foin : notre hôte s’était offert à être de la partie ; il fut accepté. Notre besogne alla grand train : l’herbe fut retournée contre le vent ; j’étais en tête, et tout le monde suivait en bon ordre. Seulement, je ne pus m’empêcher de remarquer l’assiduité de M. Burchell à aider Sophie ; sa tâche faite, il se joignait à elle, et l’entretenait à voix basse. Mais j’avais trop bonne opinion du sens de Sophie, j’étais trop convaincu de ses prétentions, pour prendre ombrage d’un homme ruiné !

Quand nous eûmes fini pour ce jour-là, M. Burchell fut invité, comme la veille ; mais il refusa ; il devait passer la nuit chez un de nos voisins, au fils duquel il portait un sifflet.

Au souper, la conversation tomba sur notre infortuné convive. « Le pauvre homme ! fis-je ; quel cruel exemple des misères qu’entraîne une jeunesse de légèreté et de folie ! pourtant il ne manque pas de sens, et ses extravagances n’en sont que plus coupables. Pauvre créature délaissée ! où sont aujourd’hui les parasites, les flatteurs dont il était entouré, qu’il avait à ses ordres ?… peut-être chez l’entremetteur enrichi par ses extravagances ! Ils le vantaient autrefois, lui… et maintenant c’est pour l’entremetteur qu’ils battent des mains. Leur enthousiasme pour son esprit est devenu sarcasme sur sa folie : il est pauvre, et il mérite peut-être la pauvreté ! car jamais il n’eut ni l’ambition de l’indépendance, ni le talent de se rendre utile ! »

Peut-être de secrètes préoccupations m’avaient-elles fait mettre trop d’aigreur dans cette sortie. « Père, me répondit doucement Sophie, quelle que soit sa conduite passée, sa position, aujourd’hui, devrait le mettre à l’abri du blâme. Son indigence actuelle est une peine suffisante de son ancienne folie. J’ai entendu dire à mon père lui-même que jamais nous ne devrions frapper inutilement une victime sur laquelle la Providence a levé le fouet de sa colère. — Tu as raison, Sophie, ajouta mon fils Moïse ; et un ancien caractérise à merveille ce