Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/85

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Tout cela eût été supportable encore. Mais une bohémienne, diseuse de bonne aventure, nous lança tout à fait dans les espaces. La brune sibylle n’eut pas plutôt paru, que mes filles accoururent me demander un schelling pour lui faire, dans la main, la croix d’argent. À vrai dire, j’étais las d’être toujours raisonnable, et je ne pus m’empêcher de leur accorder leur demande ; tant j’aimais à les voir heureuses ! Je leur donnai à chacune un schelling ; toutefois, pour l’honneur de la famille, je dois dire que jamais elles ne sortaient sans argent, ma femme, dans sa générosité, leur permettant toujours d’avoir chacune une guinée dans leur poche, mais à la condition expresse de ne la changer jamais.

La diseuse de bonne aventure les chambra quelque temps, et, à leur retour, je lus dans leurs yeux qu’on leur avait promis des merveilles. « Allons, mes enfants, avez-vous eu bonne chance ? Dis-moi, Livy, la diseuse de bonne aventure t’en a-t-elle donné pour un penny ? — Oh ! bien certainement, père, elle hante qui l’on ne doit pas hanter : car elle m’a positivement dit que, avant un an, je dois épouser un Squire. — Bien ! Et toi, maintenant, Sophie, quelle espèce de mari dois-tu avoir ? — Un lord, aussitôt que ma sœur aura épousé son Squire. — Comment, c’est là tout ce que vous devez avoir pour deux schellings !…. Un lord et un Squire seulement, pour vos deux schellings ! — Folles que vous êtes ! Pour moitié, moi, je vous aurais promis un prince et un nabab ! »

Cette curiosité, toutefois, eut de très-sérieuses conséquences : nous commençâmes à nous croire prédestinés par les étoiles à quelque chose de magnifique, et nous anticipâmes tout d’abord sur notre grandeur à venir.

On l’a remarqué mille fois, et je dois le remarquer une fois de plus ; l’heure de la contemplation d’un bonheur en perspective est plus douce que celle de la jouissance. Dans le premier cas, c’est nous-