Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/122

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profondément pénétrée du vague bonheur d’avoir créé. Tout à coup, un cri : — Je me meurs ! lui fit regarder à côté d’elle : elle vit une de ses voisines jeter ses bras autour du cou d’une élève sage-femme de garde, retomber presque aussitôt, remuer un instant sous les draps, puis ne plus bouger. Presque au même instant, d’un lit à côté, il s’éleva un autre cri horrible, perçant, terrifié, le cri de quelqu’un qui voit la mort : c’était une femme qui appelait avec des mains désespérées la jeune élève ; l’élève accourut, se pencha, et tomba raide évanouie par terre.

Alors le silence revint ; mais entre ces deux mortes et cette demi-morte que le froid du carreau mit plus d’une heure à faire revenir, Germinie et les autres femmes encore vivantes dans la salle restèrent sans même oser tirer la sonnette d’appel et de secours pendue dans chaque lit.

Il y avait alors à la Maternité une de ces terribles épidémies puerpérales qui soufflent la mort sur la fécondité humaine, un de ces empoisonnements de l’air qui vident, en courant, par rangées, les lits des accouchées, et qui autrefois faisaient fermer la Clinique : on croirait voir passer la peste, une peste qui noircit les visages en quelques heures, enlève tout, emporte les plus fortes, les plus jeunes, une peste qui sort des berceaux, la Peste noire des mères ! C’était tout autour de Germinie, à toute heure, la nuit surtout, des morts telles qu’en fait la fièvre de lait, des morts qui semblaient violer la