Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’en allait sur les onze heures : mademoiselle croyait qu’elle allait voir une amie à la campagne, et elle était enchantée du bien que faisaient à sa bonne ces journées au grand air. Germinie prenait Jupillon qui se laissait emmener sans trop rechigner, et ils partaient pour Pommeuse où était l’enfant, et où les attendait un bon déjeuner commandé par la mère. Une fois dans le wagon du chemin de fer de Mulhouse, Germinie ne parlait plus, ne répondait plus. Penchée à la portière, elle semblait avoir toutes ses pensées devant elle. Elle regardait, comme si son désir voulait dépasser la vapeur. Le train à peine arrêté, elle sautait, jetait son billet à l’homme des billets, et courait dans le chemin de Pommeuse, laissant Jupillon derrière elle. Elle approchait, elle arrivait, elle y était : c’était là ! Elle fondait sur son enfant, l’enlevait des bras de la nourrice avec des mains jalouses, — des mains de mère ! — le pressait, le serrait, l’embrassait, le dévorait de baisers, de regards, de rires ! Elle l’admirait un instant, puis égarée, bienheureuse, folle d’amour, le couvrait jusqu’au bout de ses petits pieds nus des tendresses de sa bouche. On déjeunait. Elle s’attablait, l’enfant sur ses genoux, et ne mangeait pas : elle l’avait tant embrassé qu’elle ne l’avait pas encore vu, et elle se mettait à chercher, à détailler la ressemblance de la petite avec eux deux. Un trait était à lui, un autre à elle : — C’est ton nez… c’est mes yeux… Elle aura les cheveux comme les tiens avec le temps… Ils friseront !… Vois-tu, voilà