Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/126

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tes mains… c’est tout toi… Et c’était pendant des heures ce radotage intarissable et charmant des femmes qui veulent faire à un homme la part de leur fille. Jupillon se prêtait à tout cela sans trop d’impatience, grâce à des cigares à trois sous que Germinie tirait de sa poche et qu’elle lui donnait un à un. Puis il avait trouvé une distraction : au bout du jardin passait le Morin. Jupillon était parisien : il aimait la pêche à la ligne.

Et l’été venu, ils se tenaient là toute la journée, au fond du jardin, au bord de l’eau, Jupillon sur une planche à laver jetée sur deux piquets, sa ligne à la main, Germinie, son enfant dans sa jupe, assise par terre sous le néflier penché sur la rivière. Le jour étincelait ; le soleil brûlait la grande eau courante d’où se levaient des éclairs de miroir. C’était comme une joie de feu du ciel et de la rivière, au milieu de laquelle Germinie tenait sa fille debout et la faisait piétiner sur elle, nue et rose, avec sa brassière écourtée, la peau tremblante de soleil par places, la chair frappée de rayons comme de la chair d’ange qu’elle avait vue dans les tableaux. Elle ressentait de divines douceurs, quand la petite, avec ces mains tâtillonnantes des enfants qui ne parlent pas encore, lui touchait le menton, la bouche, les joues, s’obstinait à lui mettre les doigts dans les yeux, les arrêtait, en jouant, sur son regard, et promenait sur tout son visage le chatouillement et le tourment de ces chères petites menottes qui semblent chercher à l’aveuglette la face d’une mère :